le coin

23 janvier 09
Dans Politiken ce matin, un article sur une exposition de photos de filles qui posent presque nues à la page 9 du tabloïd Ekstra Bladet (side 9-piger). Lequel tabloïd, rappelons-le, a lancé le concept en 1976 sous le titre “La fille du voisin — plus ou moins habillée”, ce qui en dit déjà long sur l’esprit de la chose... Pour l’artiste qui a réalisé l’exposition, elles sont synonymes de libération sexuelle au Danemark, puisqu’elles ne le font même pas pour de l’argent. Le journal demande en même temps aux filles ce qu’elles trouvent de plus joli dans leur propre corps. Réponses : mes yeux, ma bouche, mon sourire. On croit rêver ! Pourquoi montrer vos seins et vos fesses alors, les mignonnes ?

20 décembre 2009
Point commun entre Voyage au bout de la nuit (1932) de Céline, et Les Bonnes Femmes de Chabrol (1960) : les dialogues se ressemblent dans leur style populaire et familier. Et surtout : les bonnes femmes s’y ressemblent. Ici comme là, elles cherchent l’amou-ou-our avec un A majuscule tout en s’ennuyant ferme au boulot et en se laissant peloter par des gars qu’elles ne trouvent même pas sympathiques, le tout pour pas un rond. La raison ? On s’interroge. Question d’époque ? De vision (masculine) de la femme, qui dit non tout en se laissant faire ? Elles cherchent à s’amuser, d’accord. Mais quel amusement y a-t-il à se laisser tripoter par des inconnus moches et avinés ? Est-ce, malgré tout, mieux que solitude, silence et néant ? Et ces hommes constamment à l’affût d’une occasion gratuite de tirer leur coup... C’est là où l’on mesure tout ce que les années 70 ont apporté aux femmes occidentales : la modernité sous forme de confiance en soi, d’estime de soi, de respect et de considération en tant que personne à part entière. Fini l’animal à ressentir, à subir et à servir.

15 août 2009
Ayant reçu récemment par mail une photo de mon père prise en 1920, alors qu’il avait 18 mois, photo d’une qualité parfaite, je me pose la question: nos sociétés se sont tellement éloignées, grâce au développement technique, de la transmission orale du souvenir, que chacun de nous peut à présent conserver une quantité énorme de “souvenirs”, notamment sous forme de photos. Comment cette gigantesque amassement de mémoire affecte-t-il notre vie ? Pouvons-nous encore, comme dans les sociétés traditionnelles, partager une mémoire commune (à la tribu, à la famille agrandie...) à travers une histoire fondatrice? Ou bien la diversité des sources nous en empêchera-t-elle ? D’une histoire fondatrice nationale, en reviendrons-nous ainsi au morcellement local ?

5 juillet 2009
Différence immédiate entre le classique et la pop : la musique classique que nous écoutons à la radio ou en concert, qui a survécu jusqu’à plusieurs centaines d'années, l’a fait notamment parce qu’elle représente le meilleur à l’intérieur du genre. Le tout-venant est passé à la trappe de l’oubli. Ce que la radio diffuse comme pop, par contre, est justement le tout-venant. Rien d’étonnant donc si on se lasse bien plus vite d’une chanson pop, dont on épuise trop vite le potentiel de nouveauté, que d’une symphonie classique, souvent excellente, qui supporte d’être réécoutée des centaines de fois au cours desquelles on découvrira souvent quelque chose de nouveau.

30 juin 2009
Le rapport entre l’autoritarisme de régimes populistes de droite à la Sarkozy / Berlusconi et l’attitude brutale de la police envers les populations qu’elle est censée protéger m’a encore une fois été rendu évident par un incident dans le métro parisien. La semaine dernière, en milieu de journée, je changeais à Châtelet lorsque j’ai été attirée par des cris suraigus, quasi hystériques, et un remue-ménage de personnes (des policiers en uniforme, m’est-il apparu) courant et bloquant les portes de la sortie de secours afin de se protéger des réactions d’un public qui s’attroupait de plus en plus nombreux. M’approchant, je constate que, de l’autre côté de ces portes, au moins trois de ces policiers maintiennent brutalement un homme (noir) au sol en lui tordant les bras dans le dos tout en faisant pression avec leur genou sur son dos et ses reins, tandis que ceux qui viennent de fermer les portes s’agitent et parlent dans leurs walkie-talkies. De notre côté des portes, une jeune femme (noire) crie de toutes ses forces: “Arrêtez ! Il a un passe Navigo ! Il est en règle !” entre rage et désespoir, les larmes aux yeux. Je comprends qu’il s’agit de son ami, mari ou frère, qui s’appelle Cedric. Face à ce déploiement de violence aussi soudain que disproportionné, la réaction spontanée des spectateurs ne se fait pas attendre : nous gueulons, huons et tapons sur les portes. Pour toute réponse, les flics menottent le gars, le relèvent et l’emmènent à toute vitesse, nous laissant crier tout notre soûl. Pour quel crime odieux ce Cedric a-t-il été traité de cette façon ? Manque de papiers d’identité ? Délit de faciès ? Ou d’opinion ? Est-ce là l’image d’un régime de droit, ou bien...?

Contes philosophiques
Connais-tu Folie de sept époques, de Svend Aage Madsen ? C’est un ouvrage d’une lecture précieuse qui, par un hasard heureux, m’a suivi dans mon exil à Tete, me permettant de ne pas me sentir complètement coupé de ma langue ni de ma culture. Je ne résiste pas au plaisir d’en extraire pour ton bénéfice deux contes, qui cernent le problème de la fatalité et du libre arbitre mieux que je ne pourrai jamais le faire. Ces contes, et surtout le premier, d’une éblouissante perfection esthétique, valent en eux-mêmes le détour jusqu’à la librairie la plus proche... Voici le premier en quelques mots :

Le domestique d’un marchand de Bagdad, épouvanté de rencontrer la Mort un matin au marché, emprunte un cheval et s’enfuit jusqu’à la ville de Samarra, croyant que la Mort ne l’y trouvera pas. Celle-ci, interrogée un peu plus tard par le marchand, s’étonne d’avoir rencontré le domestique à Bagdad, puisqu’elle doit le retrouver le même soir à Samarra...

Dans le second conte, de lieu et d’époque différents, une voix dit au personnage principal : “Lorsque tu achèveras ton œuvre, tu mourras”. Et le personnage, claveciniste et compositeur de son état, trouve le moyen de prolonger indéfiniment son œuvre par la pensée, sans plus dépendre de son instrument. Il gagne ainsi une existence qui ne lui était pas impartie et choisit lui-même, alors âgé, l’instant de sa mort.

Le premier, un conte persan, montre que, quelque effort que nous fassions, nous ne pouvons échapper au destin. Pas de hasard, mais Volonté calculée réglant l’infime détail de la mécanique humaine. J’avoue mon penchant — une jubilation purement intellectuelle — pour cette version des évènements, l’introduction de la fatalité dans une vie procurant à celle-ci une perfection formelle dont elle est naturellement dépourvue ! Paradoxalement, la soumission en devient créatrice, car j’imagine que l’énergie dégagée par l’acceptation de ce que l’on nomme volonté divine doit s’investir, purifiée, en re-création de sa propre vie. Mais il couve une telle puissance dans la révolte humaine que ce que la forme perd en harmonie se retrouve en force, elle aussi créatrice. Don Juan, celui de Mozart par exemple, ne saurait renoncer à son libre arbitre ! Madsen oppose donc au premier conte un second, dans lequel la fatalité est détournée. L’infime fourmi qu’est l’homme touche au mystère de la Création. Il repousse les limites, contourne la règle, apprivoise un pouvoir jusque là défendu. Nous sommes des enfants, Niklas, lorsque nous mettons Dieu à la place du Père, et désobéissons afin d’éprouver notre force, prenant le risque de la chute. Mais, et c’est là notre salut, la désobéissance nous transcende... Dans le premier conte règne sans appel l’absolu du pouvoir divin — ce qui en fait, je le répète, toute la parfaite beauté. Le silence lisse de la Mort ne laisse place à rien, qu’à un tressaillement épouvanté d’animal pris au piège. Dans le second, la loi se formule ; mais son dépassement, justement, n’est rendu possible que par cette formulation. Dieu accorde par le Verbe la révolte virtuelle contre sa propre loi. Tout concept est contournable, toute notion révocable. Cette différence, telle que je me la figure, représente le saut du Moyen-Age aux Lumières, de la soumission au questionnement, de l’ignorance au raisonnement. Parce que nous avons formulé l’interdit, nous avons formulé le moyen de le dépasser ; nous avons fondé la base de notre liberté. Cela dit, le problème se complique d’autant : nous avons supprimé Dieu, mais comment supprimerons-nous le hasard ? En en formulant les lois. Il est déjà connu que, sur un très large ensemble d’occurrences observables, le hasard s’organise en une courbe mathématique, dite de Gauss, ce qui le rend prévisible... Et si, comme c’est probable, l’inconnu n’était pas épuisable? Quel troisième nom lui donnerions-nous alors?

Bel exemple que ce second conte, Niklas. Gardons la mélodie vivante, dans l’abstraction que permet notre esprit. Préparons-la, comme le compositeur, afin qu’elle résonne sans nous dans l’avenir. Usons de la liberté que nous avons conquise et transgressons notre destin. Jusqu’au point où l’Autre à nouveau s’en mêle ! Car qui sait ce qui nous tue : le hasard, l’Autre, nous-mêmes ? A quoi nous soumettons-nous, au bout de nos maladies ou de notre coma, contre quoi — ou qui — ne nous révoltons-nous pas? Je ne veux pas par là nier la responsabilité individuelle. On peut causer la mort d’un autre, et il ne reste qu’à en assumer le fait, bien ou mal, jusqu’à sa propre mort. Mais cette horloge de vie, ce vouloir qui forme les évènements, à qui appartiennent-ils ? A nous ou à l’Autre — hasard ou Volonté ? En l’absence de preuve — de toute possibilité de preuve — concernant l’existence du divin, je me suis résigné à ce que la croyance en Dieu ou au hasard ne soit qu’un choix, sans autre justification que mon libre désir. Pour un homme comme moi qui, passé l’enfance, n’a compté que sur lui-même, il est presque impossible de supposer à nouveau une présence divine, plus encore de l’aimer. Mais à ce “presque” s’accroche un désir qui, éventuellement, peut tout changer : celui de se transformer soi-même afin de transformer le monde. Il m’arrive parfois de prier... moi, le mécréant ! Qui, je l’ignore moi-même. Mais prier Dieu, c’est me remettre en son pouvoir. Or je n’ai aucune disposition pour la soumission. Je n’en conserve donc qu’un recueillement, destiné à me redonner des forces. En outre, l’hypothèse de Dieu entraîne toute une série de problèmes, pour moi insolubles. Je peux admettre un Créateur, mais par quel infantile besoin l’ériger en maître de mes actes ? Et si, pourtant, j’attribuais à ce Créateur la fonction d’un Dieu moral, pourrais-je jamais concilier avec ce principe du bien le mal dont je fais l’expérience quotidienne ? Devrais-je décréter un principe du mal ? Ou l’attribuer à l’imperfection humaine ? Non. Ce Dieu, si j’en décidais l’existence, réunirait en lui les deux contraires... L’homme ne les a séparés que parce que l’idée de leur réunion est insupportable. Et si, accomplissant malgré tout mon choix, je me donnais à lui, ma croyance créerait son objet, ce qu’elle oublierait ensuite pour en chercher des preuves... Car la foi, par l’adhésion, nous rend nos représentations objectives. Et voilà précisément la nature de mon problème : choisir, je le peux ; adhérer est un mouvement que j’ignore. De la même façon, quel que soit l’au-delà dont nous puissions faire l’expérience — par exemple, en état dépassé de conscience —, notre croyance nous le rendra réel. Ainsi trompés par l’illusion d’une preuve, les chrétiens y trouveront Jésus, les bouddhistes Bouddha, et les athées... le néant ! L’au-delà, Niklas, est une auberge espagnole. Le reflet de notre esprit, ce grand inconnu, créateur illimité de toutes les dimensions, peut-être le seul Dieu en qui nous devions croire. Toute règle met de l’ordre dans le hasard. Je redoute l’ordre autant que j’y aspire : c’est là sans doute l’essence de mon dilemne.

Mozambique 1982-85, snapshots :
1) Inhambane
La première histoire, qui date de 1983, est à situer aux environs d’Inhambane, charmante petite ville coloniale qui somnole sur la côte de l’océan Indien à presque cinq cents kilomètres au nord-est de Maputo. J’y avais été envoyé dans le cadre d’un projet de coopération avec une nouvelle école pompeusement nommée polytechnique, où j’avais donné des cours d’agro assortis de stages pratiques sur la question du forage des puits et de l’irrigation de différents types de terrains. Au bout de quelques mois, ma mission terminée, je décidai de rentrer à Maputo comme j’étais arrivé, c’est-à-dire en voiture, malgré l’avis de nos partenaires locaux qui jugeaient le trajet trop dangereux. Je m’étais acheté un 4x4 à l’époque afin de pouvoir circuler librement, la situation militaire n’étant pas aussi critique qu’elle le devint par la suite. Par contre, il courait tant de boatos sur les faits et gestes de la Renamo, certains vraisemblables, d’autres beaucoup moins, que je choisis très vite de ne pas y prêter attention. La route était droite, en bon état, je connaissais bien le chemin, j’avais un jerrican à l’arrière. Que pouvait-il m’arriver? Plein d’audace, je mis donc le cap sur Maputo dans un état d’inconscience bienheureuse. Le problème se présenta au bout d’une vingtaine de kilomètres de route déserte (fait qui ne m’avait pas inquiété, vu la pénurie générale d’essence), sous forme d’un gars armé, en civil, surgi de nulle part à cinquante mètres devant mon capot, agitant les bras façon sémaphore pour me faire stopper. Toute présentation formelle était superflue: il ne pouvait guère s’agir que d’un soldat de la Renamo, l’armée régulière portant l’uniforme. Si mon impression se confirmait, j’avais le choix entre me faire dévaliser, enlever ou assassiner. Un rebelle allant rarement seul, le reste de la troupe se dissimulait probablement derrière les buissons, n’attendant que de me sauter sur le poil. A l’époque, la Résistance avait déjà tiré à plusieurs reprises de bonnes rançons de coopérants enlevés dans des zones dangereuses. Comme je roulais trop vite, je fus obligé de freiner à m’en dégommer les pneus. En réponse, le gars me mit en joue... Plongeon en avant, redémarrage en marche arrière à toute allure, en aveugle, plié en deux. Heureusement, comme je l’ai dit, la route était droite. Les balles ont sifflé sur la carrosserie. Cinquante mètres plus loin, j’ai fait le demi-tour le plus rapide de toute ma carrière et foncé sans demander mon reste de retour à Inhambane. Dans le pare-brise, dans le dossier de mon siège, il y avait deux petits trous tout ronds. Cette année-là, j’ai rejoint Maputo par bateau.

2) Maputo
A l’époque dont je parle, c’est-à-dire les années 82 à 85, la situation économique avait viré au désastre. La chute catastrophique de la production, tant agricole qu’industrielle, avait été renforcée par diverses irrégularités climatiques, sécheresse de 82-84, inondations, largement utilisées par le gouvernement dans sa propagande auto-justificatrice. Le seul produit disponible dans les magasins était les boîtes d’allumettes, qui y figuraient par contre en quantité industrielle, alignées et empilées avec un art digne des épiciers de la période coloniale, en une pathétique (ou hypocrite, comme on voudra) tentative de dissimulation du manque, par ailleurs généralisé et d’une évidence criante. A partir de 83, une carte de rationnement fut attribuée à chaque famille, donnant droit à une petite quantité d’huile, de farine de maïs et de sucre par personne et par mois. Au-delà de ce minimum, le système D régnait en maître. Le résultat le plus immédiat de cette situation fut le fleurissement du marché noir, la candonga. Si l’on savait où s’adresser, et que l’on eût les moyens de payer, on y trouvait à foison tout ce qui avait disparu du marché officiel. On pouvait aussi y vendre ses devises à un taux dix ou vingt fois supérieur au taux de change bancaire, ce qui permettait ensuite de vivre à son aise le reste du mois. J’en sais quelque chose, ayant moi-même trafiqué quelques dollars à un moment où j’étais sans contrat. L’autre résultat, non moins visible, c’est que dans les grandes villes, magasins, fabriques, bureaux et administrations se dépeuplèrent vite de leur personnel, les gens passant le plus clair de leur journée à chercher de quoi manger. C’est durant cette période que le verbe portugais arranjar, avec tout son flou humoristique, trouva son plein emploi. Les réseaux de la solidarité sociale se trouvant activés en temps de pénurie, tout le monde s’était mis à la recherche de cousins, d’oncles ou d’amis susceptibles de dégoter des victuailles en échange d’un passe-droit quelconque ou d’un petit emploi destiné à un membre de la famille pas toujours qualifié pour l’occuper... Bref, la société de troc, disparue avec la colonisation portugaise, retrouva toute sa vigueur, et la corruption, jusqu’alors étonnamment limitée par rapport aux pays voisins, se propagea comme un feu de brousse.

3) Chókwe
Au village, pas grand-chose n’était dans les normes : au lieu des paillotes mozambicaines traditionnelles, nous avions hérité de maisons en préfabriqué roses, bleues et vertes prévues pour des coopérants d’Allemagne de l’Est, installées avec eau courante et électricité. Nous disposions même de cuisinières, que mes compagnons avaient démontées pour les utiliser en pièces détachées, préférant le feu de bois traditionnel. Les meubles, eux, avaient depuis longtemps servi à alimenter les mêmes feux. Ces maisons, assemblées par des ouvriers mozambicains (analphabètes) à partir de plans écrits en cyrillique, présentaient au moment de mon emménagement quelques particularités architecturales intéressantes que n’avaient certainement pas prévues leurs concepteurs... Je vous fais grâce des détails, que je passai plusieurs années à rectifier afin d’assurer ma survie en évitant coups de chaleur, piqûres d’insectes et morsures de mambas. Le sol de la salle de bains fut corrigé, la porte d’entrée rallongée, le toit agrémenté d’une toiture traditionnelle de branchages, des arbres plantés tout autour. Dans quel esprit embrumé l’idée avait-elle bien pu germer que le préfabriqué s’accordait à une température extérieure de 50°?

4) Tete
A Tete, le marché n’avait pas grand-chose de commun avec la débauche de pagnes colorés, de boubous flamboyants, de coiffures splendides et de fruits en montagnes que l’on associe souvent avec les marchés d’Afrique centrale et occidentale. Malgré une relative abondance due à la récente libéralisation des prix, la misère tant culturelle qu’économique suintait encore de partout : cotonnades délavées et trouées, pieds nus, fichus noués avec aussi peu de grâce que sur la tête d’une femme de ménage. Il n’y avait guère que les pagnes des femmes qui fissent honneur à l’Afrique. Pourquoi si peu d’intérêt pour l’esthétique ? Restes de la colonisation portugaise ? Pauvreté ? Culture traditionnelle ? Un mélange de tout cela sans doute. La dignité, pourtant, ne manquait pas.

2001
Il y a longtemps, nous — chrétiens — avons inventé Dieu pour donner un sens à notre vie. Le Vieillard n’a-t-il pas fait son temps depuis ? Exigeons un autre Dieu, avec un programme acceptable par rapport à notre degré d’évolution. Abolition de la maladie, de la misère et de la guerre, institution du bonheur et de la satisfaction minimum... vie jusqu’à 120 ans, ou 150... vieillesse à 100... Qui dirait non? Un seul problème — mais de taille: le candidat.

1999
Ce matin, après avoir lu (pour une fois) la feuille de chou envoyée par Folkekirkens Nødhjælp, et décidé (une fois de plus) de leur donner de l’argent, je continue à m’étonner de ma réaction qui me fait soutenir financièrement le travail accompli par une Eglise, que je honnis non pas pour ses caractères particuliers, mais pour ce qu’elle est, c’est-à-dire un temple bâti sur des textes écrits par de simples hommes d’il y a 2000 ans et décrétés sacrés par la suite afin d’asseoir son pouvoir sur le peuple. Je ne nie pas par là l’existence de Jésus, ni son caractère divin s’il plaît à d’aucuns d’y croire ; mais je nie qu’il nous soit encore possible à nous, peuple de l’an 2000, d’accepter ces récits trop humains, trop imparfaits, trop éloignés de nous comme vérité divine et base de notre croyance. Que l’on croie au Christ, en Allah ou en Bouddha ne change probablement pas grand-chose, car ce qui transforme et donne du sens à l’existence est la croyance en un Dieu de vie, de bonté, d’amour et de connaissance illimités dont nous tentons de nous rapprocher. Cela me semble impossible sur la base de ces fadaises destinées aux ignorants que les Eglises nous ont servies depuis si longtemps. L’Eglise a assis son pouvoir sur l’ignorance du peuple ; le peuple — en tout cas dans nos contrées — étant devenu un tout petit peu moins ignorant, et totalement désillusionné, il urge de lui fournir matière à réflexion, matière à croyance digne de ce nom. Non que je veuille faire campagne pour le sectarisme, mais la floraison des sectes est, comme les médias nous le serinent depuis dix ans, extrêmement significative du besoin de renouvellement qui se fait sentir de ce côté-là. La question étant de savoir si une nouvelle religion apparaîtra avant la grande guerre islamique, ou si nous serons soumis à l’obscurantisme pendant longtemps.

Juillet 97
David (5 ans), brûlant de fièvre. Je m’assieds sur son lit pour lui tenir la main et lui souhaiter bonne nuit. “Maman, je veux pas mourir.”

24 juin 96
L’autre soir, après avoir regardé l’horloge à plusieurs reprises, David (4 ans) me demande : “Pourquoi le temps passe?” Que répondre à cela, si ce n’est parce que le temps est temps...

5 mars 96
En écoutant le Trio de Ravel, il me semble que l’erreur que commettent de nombreux Danois est de jouer Ravel comme Carl Nielsen, c’est-à-dire extérieur, coloriste, puissant, passionné etc. Le son de Ravel doit être fondu, unifié, tout intérieur ; il doit venir de l’esprit, non du cerveau, du ventre ou de la poitrine, en particulier dans les mouvements lents, mais à ne pas oublier également dans les mouvements rapides, mouvementés et beaucoup plus démonstratifs. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de s’attacher à donner de la couleur à cette musique, la couleur se trouve dans l’instrumentation, dans l’écriture même de Ravel (voir les Trois poèmes de Mallarmé). Mais, par contre, ne jamais oublier l’esprit, toujours présent malgré l’ironie (le Boléro) ou la boursouflure grotesque (la Valse).

1er février 1996
La vie est-elle vraiment un parcours d’obstacles sur lequel nous errons en aveugles? Ce que je crois saisir m’échappe, s’éloigne, se dissimule, réapparaît seulement pour me narguer. Est-ce notre destin d’être éternellement déçus?

Considérations
pas distinguées